René Guénon: Le symbolisme du théâtre

  • 2015

Chapitre XXVIII d'Aper us sur l'initiation

Nous avons récemment comparé la confusion d’un être avec sa manifestation extérieure et profane avec laquelle il s’engagerait en voulant identifier un acteur avec un personnage dont il joue le rôle; Afin de comprendre dans quelle mesure cette comparaison est exacte, quelques considérations générales sur le symbolisme du théâtre ne seront pas hors de propos ici, même si elles ne s'appliquent pas exclusivement à ce qui concerne réellement le domaine. initiatique Bien sûr, ce symbolisme peut être lié au premier caractère des arts et métiers, qui avaient tous une valeur de cet ordre en raison du fait qu'ils étaient liés à un principe supérieur, dont elles découlent d'applications contingentes et ne sont pas devenues profanes, comme nous l'avons expliqué très souvent, mais résultent de la dégénérescence spirituelle de l'humanité au cours de la marche descendante de son cycle historique .

On peut dire en général que le théâtre est un symbole de manifestation, dont il exprime aussi parfaitement que possible le caractère illusoire; et ce symbolisme peut être envisagé, soit du point de vue de l'acteur, soit de celui du théâtre lui-même. L'acteur est un symbole du "oui" ou de la personnalité qui se manifeste à travers une série indéfinie d'états et de modalités, pouvant être considérés comme autant de rôles différents; et il convient de noter l'importance de l'utilisation ancienne du masque pour la précision parfaite de ce symbolisme. Sous le masque, en effet, l'acteur reste lui-même dans tous ses rôles, la personnalité n'étant " pas affectée " par toutes ses manifestations; la suppression du masque oblige au contraire l'acteur à modifier sa physionomie et semble donc modifier son identité essentielle d'une certaine manière. Cependant, dans tous les cas, l'acteur reste dans l'arrière-plan autre que ce qu'il semble être, tout comme la personnalité est autre chose que les multiples états manifestés, qui ne sont que les apparences extérieures et changeantes dont elle Il doit réaliser, selon les divers modes appropriés à sa nature, les possibilités indéfinies qu’il contient en soi dans l’actualité permanente de la non-manifestation.

Si nous nous tournons vers l’autre point de vue, nous pouvons dire que le théâtre est une image du monde: l’un et l’autre sont à proprement parler une "représentation", puisque le monde lui-même, n’existant que comme conséquence et expression du Principe, qui dépend essentiellement de tout ce qui est, peut être considéré comme symbolisant à sa manière l'ordre principal, et ce caractère symbolique confère par contre une valeur supérieure à ce qu'il est en soi, puisque c'est pourquoi il participe à un processus plus élevé. degré de réalité En arabe, le théâtre est désigné par le mot tamthîl qui, comme tous ceux dérivés de la même racine mathl, a bien le sens de similitude, de comparaison, d'image ou de figure; et certains théologiens musulmans utilisent l'expression âlam tamthîl, qui pourrait être traduite par "monde figuratif" ou par "monde de représentation", pour désigner tout ce qui, dans les Saintes Écritures, est décrit de manière symbolique et ne doit pas être pris au sens littéral Il est à noter que certains appliquent cette expression en particulier à ce qui concerne les anges et les démons, qui "représentent" effectivement les états d'être supérieur et inférieur, et qui d'autre part ne peuvent évidemment pas être décrits plus que symboliquement par des termes utilisés rendu au monde sensible; et, pour une circonstance au moins singulière, on connaît par contre le rôle considérable que les anges et les démons ont précisément représenté dans le théâtre religieux du Moyen Âge occidental.

Le théâtre, en effet, ne se limite pas nécessairement à représenter le monde humain, c’est-à-dire un seul état de manifestation; il peut également représenter les mondes supérieurs et inférieurs en même temps. Dans les «mystères» du Moyen Âge, la scène était donc divisée en plusieurs étages correspondant aux différents mondes, généralement répartis selon la division ternaire: ciel, terre, enfer; et l'action, qui se déroulait simultanément dans ces différentes divisions, représentait la simultanéité essentielle des états d'être. Les modernes, ne comprenant rien à ce symbolisme, en sont venus à contempler une "naïveté", sinon une maladresse, qui avait ici le sens le plus profond; Et ce qui est étonnant, c’est la rapidité avec laquelle ce malentendu est arrivé, si surprenant chez les auteurs du livre. XVII; Cette coupure radicale entre la mentalité du moyen âge et celle des temps modernes n’est certainement pas l’une des plus petites énigmes de l’histoire.

Comme nous venons de parler des "mystères", nous ne pensons pas qu'il soit inutile de souligner le caractère unique de cette dénomination à double sens: il faudrait, avec toute la rigueur étymologique, écrire "mystères" ["mistères"] que ce mot dérive du latin ministerium, qui signifie «office» ou «fonction», qui indique clairement à quel point les représentations théâtrales de ce type étaient à l'origine considérées comme faisant partie intégrante de la célébration des fêtes religieuses. Mais ce qui est étrange, c’est que ce nom a été contracté et abrégé de manière à ce qu’il soit exactement homonyme de «mystères», et qu’il ait finalement été confondu avec cet autre mot, d’origine grecque et de dérivation complètement différente. ; Est-ce uniquement par référence aux "mystères" de la religion, mis en scène dans les œuvres ainsi désignées, que cette assimilation a été produite? Cela peut certainement être une raison tout à fait plausible; mais d’autre part, si l’on pense que des représentations symboliques analogues ont eu lieu dans les «mystères» de l’antiquité, en Grèce et probablement aussi en Égypte, on pourrait être tenté de voir ici quelque chose qui va beaucoup plus loin, la continuité d’une certaine tradition ésotérique et initiatique s’affirmant à l’étranger, à des intervalles plus ou moins éloignés, par le biais de manifestations analogues, avec l’adaptation requise par la diversité des circonstances temporelles et géographiques6. Par ailleurs, nous avons dû souligner assez souvent, en d’autres occasions, l’importance, en tant que procédure langagière symbolique, des assimilations phonétiques entre mots philologiquement distincts; il y a quelque chose ici qui, en vérité, n'a rien d'arbitraire, malgré ce que la plupart de nos contemporains en pensent, et qui est assez similaire aux modes d'interprétation qui dépendent du nirukta hindou; mais les secrets de la constitution intime du langage sont tellement complètement perdus aujourd'hui qu'il est à peine possible d'y faire allusion sans que tout le monde ne s'imagine que ce sont des "fausses étymologies", et même des "calembours" vulgaires, et Platon lui-même, qui a parfois eu recours à ce type d'interprétation, comme nous l'avons déjà souligné à propos des "mythes", ne trouve aucune grâce face à la "critique" pseudo-scientifique des esprits limités par les préjugés modernes.

Pour conclure ces observations, nous indiquerons encore, dans le symbolisme du théâtre, un autre point de vue, celui qui se rapporte à l’auteur dramatique: les différents personnages, productions mentales de celui-ci, peuvent être envisagés comme représentant des modifications secondaires et en quelque sorte des prolongements de lui-même, à peu près de la même manière que les formes subtiles produites dans l’état de rêve . La même considération s'appliquerait évidemment, d'autre part, à la production de tout travail d'imagination, de quelque type que ce soit ; mais, dans le cas particulier du théâtre, il y a cette particularité: cette production est réalisée de manière sensible, donnant l'image même de la vie, telle qu'elle se déroule également dans le rêve. L’auteur a donc, à cet égard, une fonction véritablement «démiurgique», dans la mesure où il produit un monde qui tire la totalité de lui-même; et il est en cela le symbole même de l'Être produisant la manifestation universelle. Dans ce cas, ainsi que dans celui du rêve, l'unité essentielle du producteur des "formes illusoires" n'est pas affectée par cette multiplicité de modifications accidentelles, pas plus que l'unité de l'Etre n'est affectée par la multiplicité de la manifestation. Ainsi, quel que soit le point de vue où on se situe, on trouve toujours dans le théâtre ce caractère qui est sa raison profonde, aussi inconnue soit-elle pour ceux qui en ont fait quelque chose de purement profane, et qui consiste à constituer, de par sa nature même, l’un des symboles les plus parfaits de la manifestation universelle.

Traduction: Miguel A. Aguirre

Source: http://www.symbols.com/

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